l’Allemand à quoi ça sert ?

Bien souvent, parents et élèves me posent la question suivante : « Mais à quoi ça sert l’Allemand ? »

En tant que professeur de langue, j’ai quelques réponses à cette question qu’il me semble important de partager. Cela aidera peut-être certains à choisir cette langue mise à mal par la réforme des collèges passée en force dans une ignorance superbe des réalités du terrain. Cela pourrait aussi amener quelques-uns de nos compatriotes à réfléchir sur ce "trou noir" qu’est l’Allemagne dans la conscience collective française, alors que tout devrait nous inciter à tourner notre attention vers ce pays si proche. 

Les français tournés vers la Chine

L’Allemagne, c’est naturellement une histoire commune, difficile à bien des égards avec la France. Bien. C’est dit. On pense naturellement aux guerres mondiales et à l’accent ridicule des soldats allemands dans La grande Vadrouille, à Bismark qui aimait envahir la France, à Napoléon qui adorait envahir la Prusse, à Louis XIV et à Charlemagne. Nous avons des racines communes avec les Allemands, qui souvent connaissent bien la France. Les Français eux, se tournent plus volontiers vers l’Espagne, et puis naturellement, c’est très chic, vers la Chine. 

Alors, sans aucune hostilité envers les cultures espagnoles et chinoises -indéniablement de grandes cultures- il faut rappeler un certain nombre de réalités au sujet d’un pays qui, pour la stabilité en Europe, pour la culture et la vision économique qu’il porte, pour sa morale politique et sa détermination à se construire, devrait nous inspirer. La France est une nation qui, dit-on, se cherche. La France doute, paraît-il, de son système politique, de son avenir économique, de son identité même. Et souvent, ici et là, on cite l’Allemagne avec plus ou moins de pertinence. Ce qui est surprenant, c’est que peu de gens en France connaissent l’Allemagne. Peu de gens en France parlent la langue de Goethe. Moins qu’en Grande-Bretagne, moins qu’en Pologne, moins qu’en Russie. Pourtant, beaucoup de raisons concrètes devraient, au-delà de l’histoire, pousser des jeunes français vers l’allemand. Tout, à vrai dire. 
Tout d’abord, l’Allemagne est le premier exportateur industriel au monde. Nous avons à nos portes, à 2h30 en train de Paris, un pays qui possède depuis des dizaines d’années un savoir-faire inégalé pour fabriquer. Le made in Germany permet à ce pays d’affronter la mondialisation, qui nous met si mal à l’aise, dans des conditions extrêmement favorables. Pourquoi les jeunes ingénieurs français ne partent-ils pas vers l’Allemagne pour essayer de comprendre comment les choses se font là-bas ? N’avons-nous rien à apprendre ? Il est à parier que, si les Chinois ou les Sud-Africains étaient à notre place, ils se jetteraient sur l’Allemagne, comme des morts de faim. Le Français, lui, reste de marbre, enfermé dans un dédain superbe. L’allemand est aussi la seconde langue scientifique la plus parlée dans le monde. Un nombre considérable de communications scientifiques sont faites en allemand et la maîtrise de cette langue est sans nul doute un atout dans le domaine de la recherche. 
L’Allemagne possède enfin de nombreuses universités réputées qui, grâce aux dispositifs comme Erasmus, sont accessibles à moindre coût aux étudiants français. Si vous n’habitez pas les beaux quartiers de Paris, il est statistiquement improbable que votre enfant fréquente un jour les meilleurs lycées et les meilleurs classes préparatoires. Il sera très difficile pour lui d’intégrer Polytechnique ou HEC. Rien ne l’empêche pourtant d’apprendre l’allemand et de chercher à entrer à l’université Ludwig Maximilian de Munich, à celle de Heidelberg ou à l’université Humbolt de Berlin, consacrées par le classement du magazine américain Times Higher Education (THE). Des bourses existent pour soutenir les étudiants qui en ont besoin et les perspectives offertes par ce type de cursus sont excellentes. 
"L’Allemagne embauche"
Faut-il de plus rappeler que l’Allemagne embauche ? Que les salaires des cadres y sont en moyenne supérieurs à ceux des cadres français et que la qualité de vie à Munich ou Berlin n’a rien à envier à celle de Pékin ? L’Allemagne est devenue en 2013 la deuxième terre d’immigration au monde après les Etats-Unis. Le chômage y est en moyenne de 6% quand les perspectives sur le marché du travail français sont aujourd’hui plutôt sombres. Ne peut-on pas rationnellement s’interroger sur les raisons qui font que les Français accordent si peu d’intérêt à leur voisin ? 
Il est peut-être difficile pour les Français aujourd’hui de regarder vers l’Allemagne pour une raison simple : ce pays, qui tire notre économie depuis 50 ans, nous renvoie, par ses succès, à nos faiblesses et à nos échecs. Mais si nous voulons un avenir pour la France, si nous voulons trouver une nouvelle énergie, il est peut-être temps de faire face à nos peurs, de nous tourner vers l’Allemagne, et de découvrir que la France, aussi, est capable du meilleur, à condition qu’elle s’en donne les moyens. 

D’après Nicolas Folz enseignant en allemand et membre du collectif Langues en colère

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